Grand Satan
2006-2007
GS II - Grand Satan et la pancréatite (sottisier de courriels) - Extraits
Les destinataires des différents courriels ne sont pas indiqués
A propos de Nassogne au Togo, voir aussi: ---------------------------------------------------------------------------------------------------
Un mois de plus que la sanction imposée au général Assani Tidjani pour s’être rendu à Bouaké
Mais qu’est-ce qui m’a pris de venir m’exiler au « gîte rural de Nassogne », seul, pour trois longs mois !
Alors que je ne supporte même pas de passer…
Quand tu te tapes quatre parties de scrabble tous les jeudis avec Alain Brezault… ou Rachel Mpanu-Mpanu (et Ben Mavinga) ou Marie-José Engulu… Ou lorsque tu rends visite à la maman d’Antoinette Safu Mbakata et…
- Mais elle adore l’odeur des cigarettes !
fumant tes clopes et buvant tes bières puis emmenant Maman prendre l’air du côté de la rue d’Aerschot et de la rue de Brabant)… Ou quand tu passes l’après-midi avec Malou Fontier ou Judith Bisumbu (sur une terrasse, face à l’entrée du cimetière d’Ixelles, mangeant des crêpes, surveillant les entrées, sirotant des glaces, contrôlant les sorties)… Ou lorsque tu te fais épiler
- Mais qu’est-ce qui vous fait donc croire que je suis d’origine méditerranéenne, mademoiselle ?
chez une esthéticienne de la chaussée d’Ixelles… Ou quand tu lèches des vitrines chaussée de Wavre, à la Chasse (sans même un balle en poche et sans carte de crédit… faisant tout déballer et
- Mais où sont les cabines d’essayage ?
n’achetant rien… ou prétendant sortir pour « en griller une » sur le trottoir… et se faisant la malle sans régler son addition ni restituer le nouveau modèle de soutien-gorge qu’elle était en train de tester sur sa poitrine) ou rue du Bailly ou dans le quartier de Jude, à Uccle, près de la maison communale…
plus d’une demi-journée sans toi !
Pourquoi me suis-je infligé
- Octroyé, douchka ! Octroyé…
trois longs mois
- Pas seulement à Nassogne, douchka, mais partout au Togo … Dans un pays grand comme deux fois la Belgique, quoi ! Avec même la possibilité de faire des incursions au Bénin, au Burkina-Faso et au Ghana, quoi !
d’arrêts de rigueur ?
Un mois de plus que la sanction imposée au général en retraite Assani Tidjani pour s’être rendu en excursion à Bouaké, en Côte d’Ivoire, où il aurait assisté à un séminaire des Forces Nouvelles (FN), à l’insu des autorités officielles togolaises…
Nassogne, trois mois… Comment et à quoi m’occuper ? Ecrire ? Mais je n’ai plus
- Et je n’ai pas non plus envie d’en trouver d’autres, petite chérie ! A mon âge, on s’accroche à ce qu’on a, naan ?
mon personnage principal (mon amour, ma muse, mon dictionnaire) sous les yeux, à portée de mes yeux bigleux, de mon nez épaté, de mes oreilles bouchées, de ma sale bouche, de mes mains moites et de me grosse bite et
- « Ta grosse bite, ta grosse bite »… Ton gros bide, tu veux dire !
bientôt, il ne me restera plus rien de toi, que des
- Je me rappelle… avant de quitter Bruxelles, j’ai dû me hisser sur la pointe des pieds pour arriver à m’égoutter la sardine dans le nouveau lavabo que tu as fait installer dans la salle de bains…!
souvenirs pisseux ?
- Tu me téléphones dans trois jours, petite chérie ?
- Une semaine, douchka !
- Deux jours ?
- Une semaine !
- Demain ?
Mais, très heureusement, il y a Gougoui, mon beau-père et mon complice.
Et puis, très rapidement, je retrouve plein d’ami(e)s et de connaissances(s), toujours à l’affiche : Gabriel (qui vient me chercher à l’aéroport avec Gougoui), Désirée (qui me sert
- A tout FLAGueur, tout honneur…
une première bière au Quilombo), Dela (qui me souhaite une « bonne arrivée » avec un accent guin mâtiné de pidgin ghanéen), Fo Bomboma (qui a décidé d’attendre mon arrivée… et ne dormait pas encore lorsque nous avons franchi la grille d’entrée de Nassogne, vers onze heures du soir), Yao le maçon, Kossi, Kluvi, Nestor, Kudjo…
Et on m’informe du sort des absents ou des disparus : Yao le cuisinier, Kafui, Mawussi, Yaovi le jardinier…
Et j’apprends aussi à retenir de nouveaux noms et à me familiariser avec de nouveaux visages : Chantal (la blagueuse), Adjara (ne sachant pas que les œufs du poulailler ne peuvent pas être ramassés de la main droite), Laurent (le cuisinier chinois), Salifou (un jardinier de très grande taille qu’on surnomme de Gaulle)…
Je ne vais pas présenter tout le monde… mais, tout de même, dire bonjour en vitesse aux principaux artistes de ce lieu qui m’accueille pour trois mois (et qui sont susceptibles d’intervenir dans la suite de l’histoire ou de décrocher un rôle dans un bouquin que je me proposerais d’écrire ?)…
Désirée, Fo Bomboma, Kossi et Kluvi…
Désirée, alias Dadé, soeur Dé
- Et dire qu’à mon arrivée (j’avais encore mal au ventre... ça brûlait, ça piquait et ça pinçait toujours… et trois heures de queue à CDG… et six heures de fauteuil d’avion… et trois-quart d’heure de formalités administratives et d’attente des bagages n’avaient certainement rien arrangé…), venant directement de l’aéroport, je l’avais appelée Dorothée !
Dorothée, c’est notre nièce, la très chouette grande gamine de ma sœur Eliane (et de son mari, Jean) qui habite rue du Nid, de l’autre côté de la place FLAGey, après avoir habité rue de Hennin, près du Delhaize… Presqu’une voisine, quoi !
Nous ne la voyons jamais…
- Elle aurait peur de se faire chier chez les ancêtres ?
à la maison… Mais nous la retrouvons souvent, avec son coquin et sa cousine
- Mauricio et Véronique ?
ses copines et ses amis, dans les bars
- On m’annonce que deux d’entre eux ont été fermés (pour toujours ?) depuis mon départ au Togo !
de Matonge … Chez Shango, à la Mandibule, au 333…
jeune et jolie femme d’une trentaine d’années, intègre mais
- Elle prie !
austère, continue de gérer le Quilombo
- Aux grands maux, les grandes FLAG…
Jipéji, sorbonagre et savantasse, intervient doctement
- Le « Qilombo », pas le « Quilombo »
- Mais naan, Jean-Pierre ! Au Togo, dans le français des Yovos de France, ce n’est pas le Qilombo, c’est le Quilombo ! En Ewé, en Guin et en Kabye aussi ! Et, de toute manière, ton Qilombo-là, que je sache, n’a pas été inventé par « Petit » Robert ou par « Vieux » Richelieu ! Et puis, Qilombo ou Quilombo, ça se prononce pareil, naan ? Et les langues appartiennent (qui oserait encore prétendre le contraire ?) à ceux qui les parlent et à ceux qui les écrivent, naan ?
à la grande satisfaction de Gougoui. Elle plume rigoureusement les poulets, découpe avec sévérité la chèvre ou le mouton, prépare implacablement le riz, met frire les ignames de manière inexorable… Elle additionne, soustrait, divise et multiple, fait les comptes, vérifie les stocks, s’occupe des approvisionnements…
Elle organise aussi le travail des serveuses, s’efforce d’arbitrer leurs querelles… Et quelquefois, dépassée par les évènements, doit faire appel à Gougoui pour l’aider à mâter des rébellions ouvertes.
Trois serveuses, en effet, travaillent actuellement
- Tout près n’est pas loin de FLAG…
au Quilombo : Dela, une foutue bosseuse mais une sacrée bouche, Essi (dont je n’ai pas grand-chose à dire si ce n’est qu’elle vient de perdre sa grand-mère) et, surtout, Miss Dov…
Mississo Dovi, dite Miss Dov, alias Dado, alias sœur Do, est originaire d’un village situé sur le flanc du Mont Agou. C’est une ancienne « star » de la musique togolaise qui s’est fait (chaudement recommandée et patronnée par des fans et des activistes-propagandistes de la secte des Témoins de Jéhovah), engager comme serveuse au Quilombo
- C’est en FLAGuant qu’on devient FLAGueur…
dans l’espoir de dénicher parmi les clients du bistrot (pas n’importe lesquels, évidemment… seulement ceux qui ont du bide et de très grosses bagnoles…) un sponsor pour l’aider à
- Sortir un nouveau disque, sortir en boîte ?
- Les deux peut-être !
relancer sa carrière et…
- Tout vient à point à qui sait FLAGuer…
renouveler sa garde-robe et s’acheter une vingtième perruque et se faire offrir des flacons de vernis à ongles et quelques nouvelles paires de chaussures de couleurs vives et à très hauts talons.
Désirée a l’œil à tout, est présente tous les jours de la semaine, de l’ouverture à la fermeture, mais le dimanche
- Elle prie !
elle nettoie son « deux pièces », se prépare à manger, reçoit des visiteurs, lave son linge et fait du repassage et
abandonne la gestion du Quilombo au neveu du patron, l’incorruptible et le méticuleux, Ekoe…
Fo Bomboma est toujours l’homme de confiance de Gougoui au gîte rural de Nassogne…
C’est lui reçoit les clients, leur fait visiter les lieux, les « installe », s’enquiert des préférences et des desiderata des uns et des autres. C’est lui qui garde toutes les clefs (de l’office attenant à la cuisine, du congélateur, des armoires, des placards, de l’atelier-salon de musique, etc) et tous les secrets lorsque le patron n’est pas là.
C’est lui, surtout, qui établit les factures… Et Fo Bomboma ne se trompe jamais dans ses comptes… mais s’il tarde parfois à les établir, tellement il les vérifie !
Fo Bomboma est à présent père de famille (à Kévé), possède un champ d’ananas (aux environs de Bagbe)… et rêve, rêve, rêve…
Comme d’habitude, Ana se mêle avec fracas, ferveur et talent de ce qui ne la regarde pas et…
- On ne pourrait pas lui faire une « ardoise » à Bomboma, non ?
- Dis-moi, petite chérie, la « Pasionaria », elle était basque, castillane, andalouse ou catalane ? Ce n’était pas plutôt une tomate verte de Valencia, murissant et rougissant de l’intérieur, à partir du cœur ?
- Nous les Espagnoles, on est toutes comme ça !
de s’acheter une moto…
Kossi, le fermier polyvalent, continue d’habiter chez ses parents tandis que son épouse loge toujours chez les siens. Ensemble, ils sont quand même parents de deux fillettes et
- Rien de nouveau, douchka ?
- Si ! Depuis l’année dernière, la femme de Kossi a mis au monde un troisième enfant…
d’un petit garçon.
- Et qui s’appelle Kossi… Comme son papa, quoi !… Kossivi…
Kossi a ses propres champs (et aussi un « kopé » caché… auquel on accède par un petit sentier… où on élève quelques poules… où on distille du sodabi… et où les chasseurs se retrouvent après la battue, dépècent les « biches » qu’ils ont fusillées et font fumer les agoutis), dont lui-même et sa famille s’occupent, mais il est aussi l’éleveur et le guérisseur des porcs et des canards
- Il soigne les canards malades en les frictionnant à l’huile rouge et en leur attachant un bout de ficelle noire à la patte droite !
- Et ça fonctionne, douchka ?
- Du moment que les canards y croient…
le fabriquant de charbon de bois, le « tireur » de deha et le distillateur de sodabi, le coupeur de régimes de noix de palme (c’est lui aussi qui les débite, égrène les fruits, les fait bouillir pour les ramollir, les pile afin d’enlever la pulpe… en veillant cependant à ne pas casser les amandes… écrème et récupère le « gras », refait bouillir pour éliminer l’eau, rajoute du gros sel…), le planteur d’ignames et de manioc du gîte
- Il m’en apprend des trucs !
et c’est lui également qui, avec l’aide de Salifou tranche la gorge du mouton, lui grille les poils avec une torche de paille enflammée, le lave au savon et à la grosse brosse, le rince à grandes eaux, lui frotte la peau avec un grattoir métallique, lui coupe la tête et les sabots, l’ouvre, le vide (lui enlevant d’abord la bile… puis le cœur et le foie… puis, en vrac, la matrice et le pancréas, les rognons, l’appendice, la vésicule biliaire, les testicules et la vessie, … et, enfin, l’estomac et les intestins qu’il « purge » sommairement sur place… avant de transférer les « affaires intérieures » de la bête à la cuisine et de les confier aux soins experts de mains plus délicates) et le dépèce…
Kluvi, portant habituellement
- Comment tu dis ? Répète ! Quel est donc le nom du gardien ? s’enquiert Kangni Alem…
une tenue paramilitaire de chef scout pendant ses heures de service… est le veilleur de nuit du gîte rural de Nassogne. Il est aussi le papa de Lucia… et le beau-père de Bomboma…
Kluvi affirme être le frère d’un « très riche » patron d’hôtel au Ghana et se flatte d’avoir été, plusieurs années durant, un « grand exportateur de piment » (revendant la récolte de ses nombreux champs d’épices à d’opulentes femmes commerçantes venues spécialement du Burkina-Faso ou du Mali) et prétend avoir
- Quand ça ? Dans quel camp ? Contre qui ? Quels étaient les enjeux et les équipes en lice ?
fait la « guerre du Cameroun »…
- Tu devrais l’engager comme personnage de roman, douchka…Ou comme figurant de tout premier plan, non ?
- Oui mais Kangni Alem est aussi sur le coup ! Déjà le nom de Kluvi l’intrigue… et les questions de Kangni flèchent et fusent de toutes parts : « Où ce scout de cinquante ans passés a-t-il trouvé un nom pareil ? Et quelle peut être la véritable histoire de cet homme-là ? Il faut absolument que j’aie un entretien avec ce grand-père… »
Nestor aime cuisiner « à la française » mais préfère boire « à la togolaise »
Nestor, cuisinier intermittent du gîte de Nassogne, est le spécialiste du canard à l’orange et du boeuf bourguignon et des crevettes à la sauce mort-née
- Mornay, douchka ! C’est un bled, en France ! Tu n’as vraiment aucune culture ! Parfois tu fais pitié !
et de l’île flottante crème caramel.
- Et les sauces, douchka, c’est aussi Nestor qui les prépare ?
- Pour les sauces, Nestor est nettement moins bon ! Gougoui apprête les bases et Nestor termine le travail !
Nestor supplante tout le monde en matière de cuisine « expatriée » mais il n’est pas souvent présent… sauf quand le Dieu Sodabi
- D’abord un premier verre (à cinquante francs CFA la rasade… le petit godet qui passe de main en main… et que le « vieux d’à côté » se fait un plaisir de remplir… et de monnayer), suivi d’un deuxième « parce qu’il faut deux pieds pour marcher », suivi d’un troisième « parce qu’aucune marmite ne peut tenir sur deux pieds seulement », suivi d’un quatrième…
- Eh bien, eh bien…
- Eh wiii, Nestor est un vrai cordon bleu, petite chérie… mais c’est aussi un véritable soûlard ! D’après Gougoui, dans les villages, les vieux aiment se retrouver en groupe et boire avec leurs potes et, parfois (souvent !), se prendre une bonne biture… Mais, dans de nombreux villages de l’Avé… à Dokplala, à Badja ou ailleurs… chaque vieux s’attribue un « nom de cuite »… et aucun d’entre eux n’est gêné, après s’être présenté sous son vrai nom, de dévoiler ensuite, devant les visiteurs, son « nom de cuite » ! Bien au contraire, semble-t-il ! Oserai-je demander à Nestor (il est parfois très susceptible, le citoyen, surtout lorsqu’il a bu) s’il a un nom de cuite ? Mais peut-être Nestor n’est-il pas encore assez vieux pour ça ?
- Ose, douchka, ose ! Informe-toi !
- Je voudrais bien, petite chérie, mais Nestor a encore disparu !
- Appelle-le !
- On l’appelle, on l’appelle, on l’appelle…
- Et alors ?
- Ben, ça fait des heures qu’on l’appelle… Et il ne répond toujours pas ! Kossi le cherche partout ! Personne ne sait (ou ne prétend savoir) où Nestor a bien pu se cacher pour cuver sa cuite !
consent à desserrer son étreinte.
- Ceci dit, d’après Kossi, il ne faut pas nécessairement être vieux et saoulard pour avoir un autre nom ! Tout le monde, à partir de vingt ou vingt-deux ans, peut s’en voir attribuer un ! Lui-même, Kossi, a déjà un « nom de scène » par lequel se copains l’appelent quand ils se retrouvent en bande !
- Et lequel douchka ?
- « Petit tabouret » !
- Et qu’est-ce que ça signifie ?
- Un « petit tabouret », dit Kossi, c’est quelqu’un dont on ne peut pas se passer !
Yao le cuisinier est devenu agriculteur
Yao, le cuisinier germanique spécialiste des pizzas italiennes, a déserté Nassogne, s’est acheté un champ dans les environs du gîte et s’est lancé dans la culture de la choucroute et
- Tu rigoles, douchka ? Tu déconnes ?
- Ben wiii ! On ne peut pas ?
l’élevage de la salade (kartoffelsalat, geflügelsalat et wurstsalat) et la cueillette du schnaps
- Du schnaps, douchka ?
- Wiii, du schnaps… un truc que les colons du Deuxième Reich ont laissé au Togoland…
Et les mauvaises langues (j’en suis !) rapportent … que Yao, le fourbe et le cauteleux, aurait caché un important trésor de guerre pris à l’ennemi, dans son champ, au cœur d’une termitière… ou au pied d’un iroko, d’un baobab ou d’un kapokier…
L’iroko, le baobab et le kapokier sont, en effet, des arbres de longue durée… Et je m’imagine très bien Yao s’interposer
- On ne photographie pas mon arbre sans me demander la permission ! On ne pique-nique pas au pied de mon arbre ! On ne lui marche pas sur les racines, il ne supporte pas du tout ça !
devant un groupe de Yovos… qui logent au gîte rural de Nassogne et sont venus à Badja pour visiter les villages et photographier les paysans des environs et faire un peu du tourisme rural
- On ne pisse pas sur mon arbre !
ou le responsable du service foncier de la préfecture de l’Avé
ou un « géomètre » (par les temps qui courent tout le monde se dit géomètre) dont personne ne sait exactement pour qui il travaille
- On ne prend pas les mensurations de mon arbre ! Mon arbre n’est pas candidat à l’élection de Monsieur Togo 2007, que je sache !
ou un agent du service des eaux et forêts
- Mais qu’est-ce que vous lui voulez donc à mon arbre ? Pourquoi lui tournez-vous autour ? Mon arbre n’est pas non plus une truie en chaleur que je sache !
ou un préposé de la compagnie d’énergie électrique du Togo (CET) chargé de déterminer le tracé d’une nouvelle ligne électrique pouvant, dans l’avenir, relier Badja au village de Todomé…
Ces arbres-là, normalement, ne risquent pas de décéder avant de nombreuses années ou de façon inopinée…
Yao aurait caché, rapportent les mauvais langues, un important trésor de guerre dans une dame-jeanne, du genre de celles qu’on utilise pour conserver le sodabi, hermétiquement fermée par un bouchon de toile de jute et enterrée au pied d’un iroko, d’un baobab ou d’un kapokier…
Et ce trésor comprendrait, rapporte-t-on, une bague de mariage oubliée…
Et qu’on n’avait jamais retrouvée… même après avoir secoué les draps, retourné le matelas, vidé les tiroirs, déplacé les meubles, soupçonné les uns, interrogé les autres et menacé tout le monde…
dans une chambre du gîte par un mari infidèle… une chaînette en or, un oeil de verre en plastique, un dentier en porcelaine, une baleine de soutien-gorge en acier, un porte-biberon en bois, une boucle d’oreille en diamant, une broche en ivoire… et des francs CFA, des cedis du Ghana, des nairas du Nigeria et des zaïres de Mobutu… et des deutsche marks, des pfennigs et des shillings de la Musterkolonie… et différents autres objets de valeur dérobés aux clients de Nassogne…
Mais tout ça, évidemment, ce ne sont que …
- Racontars et calomnies! dirait un paralytique de ma connaissance… que je te présenterai plus tard, petite chérie, le moment venu…
des rumeurs malveillantes rapportées par de très mauvaises langues… Et Yao, à présent, est devenu agriculteur.
Yaovi a disparu
Et Paulo Carter montre le premier petit bout de son nez jazzy
Quant à Yaovi, le « petit Yao » (qu’on appelait ainsi pour le distinguer de Yao le cusinier)… le jardinier espiègle qui rêvait d’entrer en cuisine mais qui suait abondamment et dont les suées dégoulinaient
- Et ça ne plaisait pas à tout le monde !
dans les marmites, se mélangeaient aux sauces et souillaient les nappes et les assiettes… on m’annonce qu’il s’est éclipsé… et que c’est Salifou qui le remplace à présent.
Yaovi a été aperçu à Lomé… Gougoui lui-même l’a entrevu, au centre-ville, du côté du marché… Mais une fois seulement. Il y a longtemps. Et, depuis lors, on est…
- Peut-être s’est-il exilé au Ghana, petite chérie… Peut-être a-t-il été saoulé au sodabi et convaincu à la machette ou au fusil d’ « accompagner un notable dans sa tombe », comme serviteur chargé de « porter les bagages du vieux » (ou, peut-être, de lui préparer du lapin en sauce avec des haricots rouges et du gari, selon une recette dont il avait le secret ?) et de lui « éclairer la route » ? Ou peut-être a-t-il (encore !) été accusé de faire des fétiches aux gens et d’être responsable du rétrécissement ou de la disparition du gagaragassou d’une personne rancunière ?
absolument sans nouvelles de lui.
Yaovi a-t-il de la famille dans les environs ? Le CB de la brigade de gendarmerie de Badja ne devrait-il pas ouvrir une enquête et envoyer ses « éléments » à la recherche du disparu…
Paulo Carter, qui a travaillé quelquefois, dans le temps, pour le F.B.I, ne pourrait-il pas, maintenant qu’il est retraité, donner …
- Si Vieux Didier décide de faire appel à mes services, je m’arrangerai toujours pour être disponible !
- Voilà un compagnon fidèle, petite chérie ! Et, par surcroît, un ancien collègue du Zoeloe Bar, à Leuven… dont il était le vestiairiste, bien baraqué, tandis que moi, le bonimenteur et le baratineur (et aussi le fournisseur de capotes et de bonnes adresses ?), j’en contrôlais la porte et n’oubliais jamais (concurrencé par cette canaille et cette racaille de Jef, un rustre et un bouseux, un petit homme hirsute et édenté, au manteau crasseux, à l’écharpe immonde… et dont on disait qu’il était « propriétaire de trois maisons au moins », un branleur et un tire-au-flanc) de tendre la main aux caves pour en recevoir de généreux pourliches ! Déjà à l’époque nous constituions une excellente équipe, bien rodée, Paulo et moi : en cas de coup dur, Paulo venait toujours (il y a un problème ?) me donner un coup de main et moi, j’obligeais les michetons à déposer leurs fringues au vestiaire ! Et notre meilleur chiffre d’affaires on le réalisait lorsqu’il y avait une soirée tiède et molle, avec une petite pluie fine et légère… Ça n’empêchait pas les bourges et les boyards de sortir mais ça les obligeait à se mettre quelque chose sur le dos ! Et à casquer…
- Toi, douchka, toi ? No me digas, tu « tendais la patte », toi qui prétend n’avoir jamais rien demandé à personne ?
- Eh wiii ! Au début, naan ! Mais, dans ce business (comme dans tous les autres ?), on comprend vite que si on n’exige rien, on ne reçoit rien ! Et puis, quand je tendais la main, ce n’était pas exactement une « requête », c’était plutôt un racket ! Et les chalands, bourrés et titubants, avaient tout intérêt à payer un droit de sortie s’ils voulaient que Paulo retrouve leur manteau et que je les aide à ouvrir la porte… dont je gardais la clef en poche… et que je les conduise jusqu’à leur voiture avec un parapluie !
…Paulo Carter ne pourrait-il pas donner un coup de main aux argousins locaux, gratuitement, comme expert bénévole senior, selon la formule imaginée par Michel Dehoux, le patron du Tournant et contrôleur des travaux de construction du premier four de Nassogne, réalisé, sur base des plans, calculs et croquis du « porteur de savoir » expatrié, par Roger Atikpati, le grand édificateur du gîte ?
Chantal a repris la place de Mawussi et Kudjo est amoureux d’Adjara qui claque des dents en dormant
Mawussi, la bien sapée, la souriante… mais la boudeuse, l’alanguie aux mains molles… Celle-là même qui, l’année dernière, s’était chopée tout un bataillon de fourmis « magnas »…
Les fourmis magnas, ce sont des fourmis commandos, noires à pattes rouges, prêtes au sacrifice suprême, qui…
- D’abord elles vérifient si leur prise a des armes, si elle ne dissimule rien sous sa robe ou dans son pantalon, si elle ne cache rien à l’intérieur de ses poches… et, une fois rassurées, elles piiiiquent !
ne commencent à attaquer qu’à partir de la ceinture…
dans la petite culotte… et de danser et de sautiller sur place et de se contorsionner (et de se déshabiller ?) en criant comme si elle était chevauchée par un vaudou… et de bien faire rigoler les Bomboma, Kossi, Yao et autres Kudjo…
Mawussi s’est, à présent, mariée à Badja et elle attend un enfant… Son mari (instruit de la mésaventure survenue à sa femme ?) ne veut plus qu’elle mette les pieds à Nassogne…
Et c’est Chantal qui a repris la place de Mawussi…
Chantal, apparemment, est toujours de bonne humeur, ne tire jamais la gueule, ne marche pas en raclant le sol avec ses tapettes et n’a pas peur de plaisanter.
Ana consulte rapidement son agenda et me rappelle à l’ordre.
- Mais Kudjo, douchka, tu ne m’as encore rien dit sur lui ! Tu le nies ou quoi ?
- Kudjo est toujours là ! Comme d’habitude ! Egal à lui-même… Comment pourrais-je l’oublier ?
- Les travaux lourds continuent de ne pas l’effrayer ! Il est toujours aussi fort ?
- Toujours !
- Et toujours aussi adorable
- Wiii… mais pas toujours ! Pas avec tout le monde !
- Et toujours aussi souriant ?
- Toujours…sauf lorsque deux jeunes chenapans de Badja, à la veille des fêtes, interprétant une version badjaenne
- Badjaenne ?
- Ben wiii, les habitants de Badja, ce sont les Badjaens… une version badjaenne, disais-je (avant que tu ne me coupes la parole), de la fable du Corbeau et du Renard et, abusant de la confiance d’Hercule ou de sa gentillesse ou de sa naïveté (ça a l’air lourd ! on peut t’aider ?), ont réussi à lui subtiliser trois ou quatre des six poulets que Gougoui l’avait envoyé chercher chez Sanvee, à la ferme Ayodele… De façon à ce que tout le monde puisse festoyer en famille…
- Et alors, douchka ?
- A mon avis, les deux vauriens ne savaient pas à quel bougre ils avaient affaire ! Et ils ont dû regretter d’avoir voulu l’arnaquer ! Kudjo était hors de lui, furieux, déchaîné… et, évidemment, il a fini par les retrouver ses deux voleurs (et aussi les poulets) ! Et sans doute les a-t-il bousculés, frappés à coups de poing et menacés de son coupe-coupe ? Et les deux goupils se sont-ils fait sacrément mordiller les oreilles, picorer les yeux et becqueter les tubercules par le corbeau courroucé qu’ils avaient essayé d’entuber ? On ne rigole pas avec la bouffe de Kudjo !
- Et ses amours, douchka ?
- Eh bien, je crois que Kudjo est encore amoureux…
- Et de qui donc, cette fois !
- D’Adjara… Mais je ne pense pas que ça va marcher !
- Adjara ?
- Une toute jeune et toute nouvelle, originaire de Dapaong… Elle ne parle ni l’éwé, ni le guin … Seulement le français…
- Et ça « complique » la drague de Kudjo, non ?
- Sans doute… Au début Adjara partageait la chambre de Chantal, la remplaçante de Mawussi mais il y avait quand même un problème…
- Quel problème ?
- Le problème, c’est qu’Adjara claquait des dents en dormant… comme les sorciers… Et Chantal n’osait plus s’endormir… allait se coucher au salon, sur une banquette, dans les courants d’air… Et tous les matins, elle se plaignait d’être toujours fatiguée…
Mais qu’est devenue Kafui ?
Voilà comment ça se présente sur le terrain.
Les évènements peuvent survenir et la pièce commencer.
- J’espère, douchka, que cette fois-ci tu vas nous écrire quelque chose de différent. Moins chiant. Pas bâclé. Et sans trop de fautes d’orthographe…
Le décor a été planté, le contexte établi. Les circonstances de temps et de lieu ont été précisées. Les acteurs potentiels
- Certains comédiens expatriés (investissements d’avenir ou « charges du passé » ?) ont réussi à se glisser dans mes bagages… Ils viennent de Liège (Henri Jouant) ou de Bruxelles (Laurent d’Ursel)… D’autres encore sont attendus d’Anvers (Alain Germoz), de Corse (les Codroni), de Saint-Gilles (Joëlle Baumerder), de Saint-Josse (Nadine Plateau), d’Ixelles (Jipéji, Michel Dehoux et Anne-Louise Flynn) ou du Brabant wallon (Paul et Nicole)… Parviendront-ils à s’acclimater ? Survivront-ils à l’harmattan et aux fourmis « magnas » ?
ont été évoqués, suggérés, présentés… Presque tous…
Je crois, en effet, n’avoir oublié personne.
Gougoui et Ana Lanzas. Les anciens et les nouveaux. Les nationaux et les expatriés. Ceux de Nassogne (Badja) et ceux du Quilombo (Lomé). Presque tous…
Même le paralytique a été signalé…
Kangni Alem, Gaëtan Noussouglo et Crédo Tetteh ont été annoncés. Et Paulo Carter, le « pulp-detective », aussi. Et la Flag et les maux de ventre aussi…
Ils sont tous là… Presque tous… Même ceux qui ne tiendront pas la route et finiront par disparaître… Seul Satan a été ignoré…
- Et Kafui, douchka ?
- Kafui est en deuil. Sa maman est morte en octobre... A Aneho… Et le père de son mari vient à son tour de décéder... Et cela fait plus de deux mois que Kafui s’acquitte de ses « obligations de deuil » et qu’on attend son retour… On ne sait pas quand elle reviendra ni même si elle reviendra... On est sans nouvelles d’elle…
- Et qui la remplace ?
- C’est Adjara qui s’occupe des plantes et du poulailler en l’absence de Kafui… Mais il a fallu tout lui apprendre… Elle ne savait même pas que les œufs ne peuvent être ramassés que de la main gauche, jamais de la main droite
- Sinon ?
- Sinon, ils s’abîment et ne peuvent plus être couvés, quoi !
- Et le « vieux d’à côté », douchka ?
- Je ne t’en parlerai pas ! C’est mon personnage secret ! Je me le garde !
Ce soir, soupe au gingembre
Ce soir, c’est Laurent qui prépare à manger : soupe
- Chinoise ?
au gingembre… Crampes du sexe … Pas moyen de dormir et personne à besogner… Crampes de l’estomac…
Tu m’aimes ?