vendredi 23 avril 2010

GS II - Courriel n°8: Des histoires de chiottes

Didier de Lannoy
Grand Satan

GS II - Grand Satan et la pancréatite (sottisier de courriels)
2006-2007

Extraits
Les destinataires des différents courriels ne sont pas indiqués



A propos de Nassogne au Togo, voir aussi: ---------------------------------------------------------------------------------------------------



Cher Kangni Alem


C’est ce soir ou demain que tu débarques (avec

- Ce n’est pas grave ! Si je suis trop éraillé, je demanderai à Jipéji de parler à ma place !

une foutue laryngite) à Bruxelles pour y donner des conférences ou y présenter tes derniers livres, non ?

- Bonne arrivée, Kangni !


Je rappelle que Gougoui Kangni, mon beau-père (je l’appellerai Gougoui) et Kangni Alem, mon ami (je l’appellerai Kangni) ne sont pas la même personne et qu’ils n’ont absolument aucun lien de parenté. Ils se sont rencontrés pour la première fois, ici même, à Nassogne, le14 février 2006


Le verrat a fugué et les canards se sont installés dans la piscine


Quand tu verras Ana, cher Kangni

- Elle est sans doute avide de nouvelles de Nassogne ! Elle voudrait savoir comment ça se passe, si mon état de santé s’améliore…

tu lui diras que le cochon noir de Gougoui, le mâle très « courageux »

- Il a déjà quatre enfants avec la mère de la maison et vient d’en faire sept avec une co-épouse !

a brisé son enclos cette nuit et … laboure vigoureusement le champ d’ignames ou de manioc de la voisine et… ne comprend vraiment pas pourquoi tout le monde s’agite autour de lui et… s’empresse, s’énerve, s’écrie…

- Un vrai sanglochon ! Même un champion de rugby de Carcassonne, de Béziers, de Pau, de Perpignan, de Toulouse ou d’Agen-Même n’arriverait pas à le plaquer !

- Et de Bordeaux aussi ?

- Wiii sans doute !


Et que ma petite chérie

- « Petite chérie, petite chérie »…Mais dis-moi donc, Kangni, s’il m’aime tellement, ton copain-là, pourquoi passe-t-il son temps à me rapetisser ?

sache aussi que la bande des treize

- Une mère-chef et ses douze apôtres, petite chérie…une maîtresse d’école conduisant toute sa classe au bassin de natation…

canards s’est installée dans l’ancien

- Mais toujours actualisable ? Tu m’inquiètes, douchka !

- Toujours ! Sois rassurée, petite chérie ! Les canards en plastique et les bouées de sauvetage finiront bien, un jour ou l’autre, à la saison des pluies, par trouver de l’emploi au gîte rural (et aquatique) de Nassogne !

rêve de piscine de rêve. Ce gros « trou », tout desséché maintenant en cette période d’harmattan, est devenu l’ « enclos des canetons » ou, mieux encore, « la fosse aux canards » : un fabuleux et merveilleux petit « village de palmipèdes », aménagé par Kossi l’ingénieux, avec

- Pourquoi donc, petite chérie, les canards n’ont-ils pas inscrit les crapauds parmi les « aliments conseillés » de leur régime alimentaire ? Ça aurait bien fait l’affaire des insectes et des clients du « gîte » pourtant !

- Encore une de tes questions idiotes, douchka ?

- Et j’y réponds dérékitima (je ne pose jamais de questions dont je ne connais pas déjà les réponses): les canards de Nassogne consentent, certes, à becqueter, mordiller et picorer les petites grenouilles mais ne se donnent pas la peine de faire la chasse aux gros crapauds… Ils attendent que Kluvi ou Kossi les leur débite à la machette ou au coupe-coupe… Et j’ajoute aussi (l’argument qui tue !) qu’il n’y a plus un seul crapaud dans la mare… On en voit encore parfois un sur la terrasse (un gros crapaud insomniaque qui fait mine de somnoler en dessous du tube au néon) mais à mon avis ses jours sont comptés…

- Tu es vraiment trop chiant, douchka !

sept petites huttes (comme des tentes indiennes en miniature) pour y pondre des œufs… avec aussi des vasques de terre glaise remplies de flotte

- Et quand il se remettra à pleuvoir d’abondance, douchka, et que le village se retrouvera, partiellement, sous eau, que se passera-t-il ?

- Cela ne fera qu’ajouter au bonheur des canards, petite chérie !

à boire… avec des mangeoires où Salifou et Adjara leur servent des platées du « son cubé », avec un apatam pour s’abriter du soleil, discuter en famille, recevoir des amis, faire la sieste à l’ombre…

Bon, maintenant qu’Ana est rassurée, il faut quand même que je te mette en garde, mon cher Kangni…

- Très cher ! Le double de la moitié ! Effrayant ! L’horreur !

Telle que je la connais, Ana a sûrement comploté de t’amener en virée ou en bordée au Buja Bar, chez Vieux Henri, chez Hélène, à la Mandibule ou je ne sais où… Et tu vas te faire enfumer par tout le monde (Alain Brezault, Jipéji, Filip De Boeck, Ana…) ! Et ton foutu larynx risque de passer une bien mauvaise nuit !


Les WC littéraires de Nassogne


Je lis dans une, très prenante, nouvelle de ton recueil « La gazelle s’agenouille pour pleurer » (Le Serpent à Plumes, collection Motifs, 2003, pp111s) un éloge des toilettes qui ne me laisse pas indifférent.

La jeune Sankofa, immigrée clandestine aux Etats-Unis depuis déjà deux ans, y rapporte ceci :


« Les toilettes pour moi ont toujours été le lieu des grandes révélations, tel le désert pour les prophètes des temps bibliques, la forêt pour les féticheurs de T. Brava. Le lieu des grandes décisions, par le calme qui y règne, cette volupté de fin de chaîne alimentaire qui vous entraîne loin du monde et de ses futiles agitations. Dans les toilettes, on est seul en face de soi et le drame qui s’y déroule n’a pas de place pour la triche… »


Sais-tu, à ce propos, cher Kangni… et je suis tout réjoui de pouvoir enfin parler à une personne de qualité… avec laquelle je constate partager un certain nombre de centres d’intérêt… d’histoires de toilettes et de choses

- M’y autorises-tu ?

- Ça dépend… Je ne sais pas, Vieux Didier, on te connaît, je me méfie…Est-ce drôle au moins ?

- Ben wiii ! Peut-être…

- Je peux me bidonner ?

- Ben wiii ! Sans doute…

- Je veux bien prendre le risque…Mais tu me diras quand même, Vieux Didier, à quel moment on a le droit, tout en restant poli et sans te vexer d’aucune manière, d’arrêter de se poiler… Je n’ai pas l’intention de passer la nuit entière à me taper sur le ventre et à faire semblant de pisser de rire dans ma culotte… même pour te faire plaisir !

qu’on pourrait qualifier

- Il va oser ? s’interroge Jipéji qui déjà salive d’abondance… s’apprêtant à savourer, successivement, offerts par la maison et préparés par Michel, alias le mollah Omar, une porra antequerana (les marches du palais), une joue de bœuf au crabe tourteau (le « peu de résistance ») et une compote de fruits de « là-bas » (la douceur de vivre), spécialités gastronomiques dont les secrets de fabrication sont exposés avec talent (culinaire et littéraire) (et graphique) par Michel Dehoux et Jean-Pierre Jacquemin (et leurs copains illustrateurs) dans « La cuisine molle pour édentés », ouvrage de référence de tous les scorbutiques, publié en 2005, aux éditions Les carnets du Dessert de Lune…

- Il ose ! Quand sa femme n’est pas là, ce grotto-là n’a vraiment plus de limites ! s’apitoyent Viviane et Jean-Emile…

de « fondementales »…

- Il a osé ! constate Ana, amèrement…Mawa vraiment…

Sais-tu donc, disais-je, Kangni, que les toilettes ou les WC…

- A notre époque, cher Kangni, les « salons littéraires », c’est complètement dépassé, naan ? Ça fait suranné, bourge, boyard, kitsch, gothique, poussiéreux, ringard, naan ?

les WC littéraires de Gougoui, donc, sur wwW.Com, commencent à prendre une certaine ampleur…


J’y ai découvert plein d’amis :

Un certain Kangni Alem de notre connaissance (« Cola cola jazz », « La gazelle s’agenouille pour pleurer »… ouvrage dédicacé par toi-même, au bic bleu, en date du 14 février 2006, à mon beau-père et complice, Gougoui Kangni : « Enfin la rencontre ! » as-tu noté), Sami Tchak (dont la « Place des fêtes », roman colossal et ahurissant, est renseigné sur un gigantesque panneau publicitaire en couleur, visible tant par les voyageurs en provenance de Lomé que par ceux qui reviennent de Kpalimé, que Gougoui a fait installer au croisement de la grand-route et de la route de Todomé), Achille Ngoye (« Kin la joie, Kin la folie », « Agence Black Bafoussa », « Sorcellerie à bout portant », « Yaba Terminus »… et que nous prépare-t-il encore, ce très vieux pote… et quand nous donnera-t-il à nouveau rendez-vous à l’Ambassade, près de la station de métro Marx-Dormoy, à Paris, dans le XIXe ou le XXe… j’ai oublié… arrondissement ? pour y boire des mongonzos et des mongonzos et des mongonzos et des mongonzos bien tapées et y manger, avec du pili-pili, du mouton et du mouton et du mouton et du mouton bien grillé… que la patronne essayera, évidemment, de faire passer pour du véritable cabri, nzambe !), Alain Germoz (et « Archipel, cahier international de littérature », la revue que mon grand frère dit avoir fondée « pour se compliquer la vie ») et, bien évidemment, le couple Dehoux-Jacquemin (dont l’ouvrage « La cuisine molle pour édentés » terrorise les chapons mais ravit les poules pondeuses, coriaces et tendineuses, en fin de course), le coq et l’oie…

- Le coq, d’accord, c’est le chef ! Mais l’oie ?

- Parce que (osera-t-il ?) l’oie (il ose !) « a de la plume » (il a osé !), petite chérie…et que Jipéji ne prétend toujours pas écrire sur ordinateur…

- Ni même à la machine ?

- Non plus ! Jipéji a « de la plume » comme on peut dire de Gauthier de Villers qu’il a « de la frappe et du tempo », non ? Et cette belle plume-là, elle appartient encore au vingtième siècle… voire même au dix-neuvième, non ?

Bientôt, il y aura une file d’attente devant la porte… Il faudra limiter le temps de lecture, placer des bancs, distribuer des tickets, installer un poste de péage, embaucher une chaisière…


Soyons inspiré par les Muses et laissons-nous emporter par notre imagination féerique et rêvons d’une affichette sublime qu’une préposée aux toilettes épinglerait sur la porte du local dont la surveillance et l’entretien lui auraient été confiés:


Pour faire caca, « autant ». Pour se frotter le trou de balle, « autant »

- Mais ne pas abuser du papier, tout de même ! Ne pas vider tout un rouleau !

Pour tirer la chasse, « autant ». Pour se laver les mains à l’eau, « autant ». Pour utiliser le savon et la serviette, « autant »…

Pour lire un livre

- Un quart de chapitre, pas plus ! Une seule recette de cuisine ! Une petite nouvelle, très courte et agréablement balancée ! Ou, à défaut, une dépêche d’agence de presse, brève et bien torchée ! De la fast-litterature, quoi !

« autant ».


Evidemment, pour faire pipi, activité dont le succès ne se dément jamais à Nassogne, surtout lorsqu’il y a beaucoup de monde sur la terrasse (les clients de la rotonde et des chambres disposent de leurs propres toilettes) et qu’on y rigole beaucoup et qu’on y boit trop, c’est aussi « autant ».


Tout serait tarifié… étant entendu que les prix

- On peut obtenir des réductions allant jusqu’à vingt ou dix pour cent la passe… ou, plus exactement, l’écoulement ou le jaillissement ! On peut même prendre un abonnement (autant de trajets que l’on veut) à l’heure, à la demi-journée, à la journée, à la semaine, au mois ou à l’année !

resteraient négociables… pour peu qu’on arrive à s’entendre avec la péagiste… laquelle n’est pas toujours commode…


Madame Pipi, chaussant des djimakplas, surveille tout ce monde-là, empile et compte les pièces de monnaie, négocie les réductions éventuelles et rappelle un certain nombre de règles et de consignes et

- Si ce sont des hommes qui vont aux toilettes et qu’ils ont l’intention d’y lire un texte particulièrement « émouvant », je les prierai instamment de pisser assis… pour ne pas souiller de leur urine fétide… ou de leur sperme poisseux (l’utilisation du savon, du lavabo et de la serviette leur étant, dans ce cas, sévèrement facturée)… non seulement leurs doigts mais aussi et surtout les pages immaculées de l’ouvrage dont ils veulent s’attirer les faveurs !

n’hésite pas à réprimander

- Tu as avalé une dent en or et tu attends qu’elle te ressorte par l’anus ?

les clients qui en prennent trop à leur aise, s’attardent, traînassent, font de l’ « obstruction » et provoquent des embouteillages dans le couloir et

- On ne se sert pas du sein d’une femme pour se faire un lavement !

ceux qui prennent les toilettes pour un lupanar.


On raconte qu’un être humain de sexe féminin, déclarant (mais ne pouvant produire de document officiel à l’appui de cette assertion) être enceinte et/ou souffrir de cystite, aurait, un jour de grande affluence, refusé de payer

- Quoi ? Encore ? A chaque fois ?

« autant » lors de son cinquième passage en moins de deux heures… et que, après un vif échange de mots avec Madame Pipi

- J’ai découvert le manège de cette rate de gîte rural ! Elle veut finir tout un bouquin sans s’acquitter de la totalité de la redevance !

la trompeuse, très énervée, aurait donné un coup de boule à la chaisière intraitable… et l’aurait étendue pour le compte.


C’est drôle, Kangni ?

Même pas, Vieux Didier ! J’avais bien raison de me méfier, sale gamin ! Tu ne changeras donc jamais ! Et tes toilettes « jubilatoires » et tes histoires au ras des fesses, nous éloignent considérablement des forêts de T. Brava et du désert des temps bibliques où, selon la jeune Sankofa, des vérités cachées se révélaient aux prophètes et aux féticheurs… sur une musique de Duke Ellington, évidemment… Mais, après tout, pourquoi pas ?


Moralité ? Aucune !